Le droit à la preuve des employeurs est en pleine construction jurisprudentielle. La Cour de cassation vient de poser une nouvelle condition pour l’exercice de ce droit dans un arrêt du 8 mars 2023.
Selon un revirement de jurisprudence relativement récent, une preuve obtenue de manière déloyale ou illicite (comme par exemple une vidéo surveillance ne respectant pas toutes les règles légales) n’est plus systématiquement rejetée par les juges. La Cour de cassation pose en effet depuis quelques temps le principe suivant :
«L’illicéité d’un moyen de preuve, (….) n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. »
Cass. soc, 10 novembre 2021, 20-12.263 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000044327036
Mais encore faut-il que l’employeur invoque ce droit à la preuve. S’il ne le fait pas et se contente de plaider que sa preuve est licite, la Cour de cassation rejettera définitivement sa preuve.
C’est ce qu’elle vient de juger le 8 mars dernier. Les faits sont les suivants : à la suite d’une plainte déposée par un salarié conducteur de bus, qui avait constaté la disparition d’un bloc de tickets dans un des bus qu’il conduisait, l’employeur a remis aux services de police les bandes du système de vidéoprotection équipant le bus.
Lors du visionnage de ces bandes vidéo, les services de police ont relevé 2 infractions du chauffeur : il avait téléphoné au volant et fumé dans le bus. La police a remis à l’employeur un procès-verbal constatant ces faits. Le salarié a alors été licencié pour faute grave par son employeur. Il conteste ce licenciement notamment en invoquant que le procès-verbal fournit par l’employeur est illicite car la communication de ce procès-verbal était intervenue dans le cadre informel des relations que l’employeur entretenait pour les besoins de son activité avec les autorités de police. Or, selon l’article R. 156, alinéa 1, du code de procédure pénale, la délivrance d’une pièce issue d’une procédure pénale à un tiers doit être autorisée par le procureur de la République. En l’espère, aucune autorisation du procureur n’a été donnée pour cette communication à l’employeur qui était tiers à la procédure pénale en cours sur le vol.
Cette preuve était de plus déloyale car dans la charte de la vidéo protection en vigueur dans l’entreprise, l’employeur s’était engagé à :
- ne remettre les enregistrements à la police qu’en cas d’infraction ou perturbation afférente à la sécurité des personnes (or le vol de titres de transport a eu lieu sans violence)
- ne pas recourir au système de vidéoprotection pour apporter la preuve d’une faute d’un salarié lors d’affaires disciplinaires internes.
Cette unique preuve de la faute du salarié a donc été jugée illicite et déloyale. La Cour de cassation valide ensuite son rejet des débats alors même que les juges n’ont pas procédé à l’examen de proportionnalité entre les droits du salarié et le droit à la preuve de l’employeur au motif que l’employeur n’a pas invoqué ce droit. Il a uniquement plaidé que sa preuve était licite sans invoquer à titre subsidiaire son doit à la preuve et à un procès équitable.
Cass. Soc, 8 mars 2023, 20-21848 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000047304481?cassFormation=CHAMBRE_SOCIALE&page=1&pageSize=10&query=*&searchField=ALL&searchType=ALL&sortValue=DATE_DESC&tab_selection=juri&typePagination=DEFAULT