Le forfait jours français est illégal

Ce sont les récentes conclusions du Comité Européen des Droits Sociaux. Selon lui, le forfait jours appliqué en France ne respecte pas « l’article 2§1 de la Charte au motif que la durée du travail pour les salariés soumis au forfait annuel en jours est déraisonnable ».

Pour rappel, l’article 2§1 de la Charte sociale européenne dispose que : « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à des conditions de travail équitables, les Parties contractantes s’engagent à fixer une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire, la semaine de travail devant être progressivement réduite pour autant que l’augmentation de la productivité et les autres facteurs entrant en jeu le permettent; »

En application de cet article, le Comité estime que « Les États parties doivent veiller à ce que les employeurs aient l’obligation de mettre en place des dispositions pour limiter ou décourager le travail non comptabilisé en dehors des heures normales de travail, en particulier pour les catégories de travailleurs qui peuvent se sentir poussés à fournir des performances excessives »

En l’état actuel du droit français sur le forfait jours, cette obligation n’existe pas.

Le Comité Européen des Droits Sociaux estime s’agissant particulièrement de la France « qu’en l’absence de limitations légales à la durée maximale autorisée du travail hebdomadaire dans le régime de forfait annuel en jours et indépendamment de l’obligation légale de l’employeur de surveiller la charge de travail, un contrôle a posteriori par un juge d’une convention de forfait en jours n’est pas suffisant pour garantir une durée raisonnable du travail (Confédération générale du travail (CGT) et Confédération française de l’encadrement-CGC (CFE-CGC) c. France, réclamation no 149/2017, décision sur le bien-fondé du 19 mai 2021, §143). »

 

Quel sera l’impact de ces conclusions ?

A priori aucun. En effet, c’est la 2ème fois que le Comité fait un tel constat pour le forfait jours français. La première fois c’était en 2014. Il n’y a eu aucun changement législatif depuis. La jurisprudence en s’appuyant sur cette interprétation de la Charte sociale européenne pourrait être tentée d’annuler les forfaits jours sur ce fondement. Mais à ce jour ce n’est pas le cas en raison de la position actuelle de la Cour de cassation sur l’absence d’effet directe en droit interne des dispositions de la Charte laissant une marge d’appréciation aux parties contractantes (Cass. Avis du 25 septembre 2019, 19-70.014, Publié au bulletin).

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000039188484

Rapport du Comité : https://rm.coe.int/conclusions-2022-france-f/1680aa9c95

 

Les DRH sont-ils toujours des cadres dirigeants n’ayant pas le droit au paiement de leurs heures supplémentaires ?

La Cour de cassation a répondu récemment par la négative.

Dans cette affaire, un DRH est licencié par son employeur (pour absence prolongées perturbant le fonctionnement de l’entreprise et nécessitant de son remplacement définitif) et saisit les prud’hommes de demandes relatives notamment au paiement d’heures supplémentaires, d’heures travaillées pendant les congés payés et la maladie, de dommages-intérêts pour non-respect des repos et durées maximales du travail et d’indemnité pour travail dissimulé.

La Cour d’Appel de Bordeaux rejette les demandes du DRH au motif qu’il est cadre dirigeant et donc non soumis au bénéfice des règles régissant la durée du travail.

Le DRH se pourvoit en cassation et conteste cette qualité car même s’il signait les contrats de travail et disposait d’une large autonomie, c’est le DG qui était signataire de toutes les lettres de convocation à entretien préalable et des lettres de licenciement.

Pour rappel, selon l’article L. 3111-2 du code du travail, sont considérés comme cadres dirigeants, les cadres qui remplissent les 3 conditions cumulatives suivantes :

  • avoir des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps ;
  • être habilités à prendre des décisions de façon largement autonome ;
  • percevoir une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.

Il n’était pas contesté en l’espèce que le DRH disposait d’une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps et qu’il percevait une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés de l’entreprise.

Le débat était donc de savoir si le DRH remplissait la 2ème de ces conditions.

La Cour de cassation estime que non car le DRH devait, en dépit d’une grande autonomie dans l’exercice de ses fonctions, en référer au directeur général et il ne signait ni les lettres de convocation à l’entretien préalable, ni les lettres de licenciement. La Cour de cassation estime donc que le DRH dans cette affaire n’avait pas la qualité de cadre dirigeant et qu’il était donc soumis aux règles sur la durée du temps de travail.

La Cour d’appel de renvoi devra donc étudier les demandes de paiement du DRH de ses heures supplémentaires, ses heures travaillées pendant les congés payés et la maladie, les congés payés afférents ainsi que ses demandes de dommages intérêts pour non-respect des repos et durées maximales du travail et travail dissimulé.

La note risque d’être salée pour l’employeur car le DRH, qui invoquait une surcharge de travail à l’origine de ses arrêts maladie, produisait un décompte de ses heures effectuées, de ses agendas, de ses notes de frais et de nombreux mails échangés avec le directeur général à des heures tardives, les week-ends et durant ses arrêts maladie.

Cour de cassation 15 Mars 2023 Pourvoi n° 21-21.632

https://www.courdecassation.fr/en/decision/641173f1f6c989fb02435769?judilibre_chambre%5B0%5D=soc&page=2&previousdecisionpage=2&previousdecisionindex=8&nextdecisionpage=3&nextdecisionindex=0

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