Le forfait jours français est illégal

Ce sont les récentes conclusions du Comité Européen des Droits Sociaux. Selon lui, le forfait jours appliqué en France ne respecte pas « l’article 2§1 de la Charte au motif que la durée du travail pour les salariés soumis au forfait annuel en jours est déraisonnable ».

Pour rappel, l’article 2§1 de la Charte sociale européenne dispose que : « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à des conditions de travail équitables, les Parties contractantes s’engagent à fixer une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire, la semaine de travail devant être progressivement réduite pour autant que l’augmentation de la productivité et les autres facteurs entrant en jeu le permettent; »

En application de cet article, le Comité estime que « Les États parties doivent veiller à ce que les employeurs aient l’obligation de mettre en place des dispositions pour limiter ou décourager le travail non comptabilisé en dehors des heures normales de travail, en particulier pour les catégories de travailleurs qui peuvent se sentir poussés à fournir des performances excessives »

En l’état actuel du droit français sur le forfait jours, cette obligation n’existe pas.

Le Comité Européen des Droits Sociaux estime s’agissant particulièrement de la France « qu’en l’absence de limitations légales à la durée maximale autorisée du travail hebdomadaire dans le régime de forfait annuel en jours et indépendamment de l’obligation légale de l’employeur de surveiller la charge de travail, un contrôle a posteriori par un juge d’une convention de forfait en jours n’est pas suffisant pour garantir une durée raisonnable du travail (Confédération générale du travail (CGT) et Confédération française de l’encadrement-CGC (CFE-CGC) c. France, réclamation no 149/2017, décision sur le bien-fondé du 19 mai 2021, §143). »

 

Quel sera l’impact de ces conclusions ?

A priori aucun. En effet, c’est la 2ème fois que le Comité fait un tel constat pour le forfait jours français. La première fois c’était en 2014. Il n’y a eu aucun changement législatif depuis. La jurisprudence en s’appuyant sur cette interprétation de la Charte sociale européenne pourrait être tentée d’annuler les forfaits jours sur ce fondement. Mais à ce jour ce n’est pas le cas en raison de la position actuelle de la Cour de cassation sur l’absence d’effet directe en droit interne des dispositions de la Charte laissant une marge d’appréciation aux parties contractantes (Cass. Avis du 25 septembre 2019, 19-70.014, Publié au bulletin).

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000039188484

Rapport du Comité : https://rm.coe.int/conclusions-2022-france-f/1680aa9c95

 

Les DRH sont-ils toujours des cadres dirigeants n’ayant pas le droit au paiement de leurs heures supplémentaires ?

La Cour de cassation a répondu récemment par la négative.

Dans cette affaire, un DRH est licencié par son employeur (pour absence prolongées perturbant le fonctionnement de l’entreprise et nécessitant de son remplacement définitif) et saisit les prud’hommes de demandes relatives notamment au paiement d’heures supplémentaires, d’heures travaillées pendant les congés payés et la maladie, de dommages-intérêts pour non-respect des repos et durées maximales du travail et d’indemnité pour travail dissimulé.

La Cour d’Appel de Bordeaux rejette les demandes du DRH au motif qu’il est cadre dirigeant et donc non soumis au bénéfice des règles régissant la durée du travail.

Le DRH se pourvoit en cassation et conteste cette qualité car même s’il signait les contrats de travail et disposait d’une large autonomie, c’est le DG qui était signataire de toutes les lettres de convocation à entretien préalable et des lettres de licenciement.

Pour rappel, selon l’article L. 3111-2 du code du travail, sont considérés comme cadres dirigeants, les cadres qui remplissent les 3 conditions cumulatives suivantes :

  • avoir des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps ;
  • être habilités à prendre des décisions de façon largement autonome ;
  • percevoir une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.

Il n’était pas contesté en l’espèce que le DRH disposait d’une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps et qu’il percevait une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés de l’entreprise.

Le débat était donc de savoir si le DRH remplissait la 2ème de ces conditions.

La Cour de cassation estime que non car le DRH devait, en dépit d’une grande autonomie dans l’exercice de ses fonctions, en référer au directeur général et il ne signait ni les lettres de convocation à l’entretien préalable, ni les lettres de licenciement. La Cour de cassation estime donc que le DRH dans cette affaire n’avait pas la qualité de cadre dirigeant et qu’il était donc soumis aux règles sur la durée du temps de travail.

La Cour d’appel de renvoi devra donc étudier les demandes de paiement du DRH de ses heures supplémentaires, ses heures travaillées pendant les congés payés et la maladie, les congés payés afférents ainsi que ses demandes de dommages intérêts pour non-respect des repos et durées maximales du travail et travail dissimulé.

La note risque d’être salée pour l’employeur car le DRH, qui invoquait une surcharge de travail à l’origine de ses arrêts maladie, produisait un décompte de ses heures effectuées, de ses agendas, de ses notes de frais et de nombreux mails échangés avec le directeur général à des heures tardives, les week-ends et durant ses arrêts maladie.

Cour de cassation 15 Mars 2023 Pourvoi n° 21-21.632

https://www.courdecassation.fr/en/decision/641173f1f6c989fb02435769?judilibre_chambre%5B0%5D=soc&page=2&previousdecisionpage=2&previousdecisionindex=8&nextdecisionpage=3&nextdecisionindex=0

#DRH #cadredirigeant #heuressupplémentaires

Droit à la preuve de l’employeur et géolocalisation illicite des véhicules professionnels

La Cour de cassation vient d’apporter une nouvelle précision à sa construction jurisprudentielle sur la recevabilité des preuves illicites.

Dans un arrêt du 22 mars 2023, la Cour de cassation a statué sur la recevabilité de la preuve de la faute d’un salarié obtenue par une géolocalisation illicite.

Dans les faits, il s’agit d’un conducteur scolaire qui utilise le véhicule professionnel à des fins personnelles. Il reçoit un avertissement lui demandant d’arrêter. Le salarié continue. Il est alors licencié pour faute grave.

L’employeur apporte la preuve de la faute grave du salarié avec le système de géolocalisation qu’il avait mis en place en permanence sur le véhicule professionnel de ce dernier.

Il n’était pas contesté que ce système de géolocalisation était illicite car :

  • l’employeur n’avait pas informé individuellement le salarié de ce système ;
  • le contrôle du temps de travail pouvait, et même en l’espèce devait, être effectué par un autre moyen à savoir l’enregistrement manuel sur un livret individuel de contrôle (obligation prévue par décret pour les entreprises de transport routier de personnes) ;
  • le système mis en place permettait d’effectuer un contrôle permanent du salarié en collectant des données relatives à la localisation de son véhicule en dehors de ses horaires et de ses jours de travail.

En application de la jurisprudence actuelle sur le droit à la preuve en matière prud’homale, la Cour de cassation a vérifié si les conditions de recevabilité des preuves illicites qu’elle a posées étaient remplies. La réponse est non car :

  • la géolocalisation n’était pas indispensable puisque la preuve pouvait être apportée par d’autres moyens (livret manuel pour le temps de travail et distances parcourues avec le kilométrage du véhicule) ;
  • la géolocalisation, entrainant un contrôle permanent du salarié y compris en dehors de ses heures et jours de travail, porte une atteinte à son droit à une vie personnelle disproportionnée par rapport au but poursuivi.

 

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 22 mars 2023, 21-22.852, Inédit

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000047350594?init=true&page=1&query=21-22852&searchField=ALL&tab_selection=all

#preuve #géolocalisation #licenciement #viepersonnelle

Droit à la preuve des employeurs : Attention à ne pas oublier de l’invoquer

Le droit à la preuve des employeurs est en pleine construction jurisprudentielle. La Cour de cassation vient de poser une nouvelle condition pour l’exercice de ce droit dans un arrêt du 8 mars 2023.

Selon un revirement de jurisprudence relativement récent, une preuve obtenue de manière déloyale ou illicite (comme par exemple une vidéo surveillance ne respectant pas toutes les règles légales) n’est plus systématiquement rejetée par les juges. La Cour de cassation pose en effet depuis quelques temps le principe suivant :

«L’illicéité d’un moyen de preuve, (….) n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. »

Cass. soc, 10 novembre 2021, 20-12.263 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000044327036

Mais encore faut-il que l’employeur invoque ce droit à la preuve. S’il ne le fait pas et se contente de plaider que sa preuve est licite, la Cour de cassation rejettera définitivement sa preuve.

C’est ce qu’elle vient de juger le 8 mars dernier. Les faits sont les suivants : à la suite d’une plainte déposée par un salarié conducteur de bus, qui avait constaté la disparition d’un bloc de tickets dans un des bus qu’il conduisait, l’employeur a remis aux services de police les bandes du système de vidéoprotection équipant le bus.

Lors du visionnage de ces bandes vidéo, les services de police ont relevé 2 infractions du chauffeur : il avait téléphoné au volant et fumé dans le bus. La police a remis à l’employeur un procès-verbal constatant ces faits. Le salarié a alors été licencié pour faute grave par son employeur. Il conteste ce licenciement notamment en invoquant que le procès-verbal fournit par l’employeur est illicite car la communication de ce procès-verbal était intervenue dans le cadre informel des relations que l’employeur entretenait pour les besoins de son activité avec les autorités de police. Or, selon l’article R. 156, alinéa 1, du code de procédure pénale, la délivrance d’une pièce issue d’une procédure pénale à un tiers doit être autorisée par le procureur de la République. En l’espère, aucune autorisation du procureur n’a été donnée pour cette communication à l’employeur qui était tiers à la procédure pénale en cours sur le vol.

Cette preuve était de plus déloyale car dans la charte de la vidéo protection en vigueur dans l’entreprise, l’employeur s’était engagé à :

  • ne remettre les enregistrements à la police qu’en cas d’infraction ou perturbation afférente à la sécurité des personnes (or le vol de titres de transport a eu lieu sans violence)
  • ne pas recourir au système de vidéoprotection pour apporter la preuve d’une faute d’un salarié lors d’affaires disciplinaires internes.

Cette unique preuve de la faute du salarié a donc été jugée illicite et déloyale. La Cour de cassation valide ensuite son rejet des débats alors même que les juges n’ont pas procédé à l’examen de proportionnalité entre les droits du salarié et le droit à la preuve de l’employeur au motif que l’employeur n’a pas invoqué ce droit. Il a uniquement plaidé que sa preuve était licite sans invoquer à titre subsidiaire son doit à la preuve et à un procès équitable.

Cass. Soc, 8 mars 2023, 20-21848 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000047304481?cassFormation=CHAMBRE_SOCIALE&page=1&pageSize=10&query=*&searchField=ALL&searchType=ALL&sortValue=DATE_DESC&tab_selection=juri&typePagination=DEFAULT

Impact de la décision du Comité Européen des Droits Sociaux publiée le 26 septembre 2022 sur les barèmes Macron

Interview de Marielle Vannier pour Merci Pour l’Info par Timour Aggiouri : « Cette instance considère les barèmes plafonnant les dommages et intérêts contraires à la Charte sociale européenne. Mais sa décision, publiée lundi, aura des effets limités ».… https://www.mercipourlinfo.fr/actualites/emploi/licenciement-sans-cause-reelle-et-serieuse-que-va-changer-la-decision-du-comite-europeen-des-droits-sociaux-938682

 

Effet d’une clause de médiation dans un contrat de travail

Le contrat de travail instituant un préliminaire obligatoire de médiation s’impose-t-il au CPH dès lors que les parties l’invoquent et doit-elle en conséquence entraîner l’irrecevabilité d’une demande formée sans que la procédure de médiation ait été mise en œuvre ?

Réponse de la Cour de cassation dans un avis du 14 juin 2022 : Non. « En raison de l’existence en matière prud’homale d’une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire, une clause du contrat de travail qui institue une procédure de médiation préalable en cas de litige survenant à l’occasion de ce contrat n’empêche pas les parties de saisir directement le juge prud’homal de leur différend. »

https://www.courdecassation.fr/decision/62a82456bb0a8105e5518a06?search_api_fulltext=&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=cc&judilibre_chambre%5B0%5D=soc&judilibre_publication%5B0%5D=b&op=Rechercher%20sur%20judilibre&previousdecisionpage=&previousdecisionin=

Le mensonge du salarié dans le cadre d’une rupture conventionnelle peut couter cher

Dans un arrêt du 11 mai 2022, la Cour de cassation a rappelé que la convention de rupture conventionnelle est un contrat qui, comme tout les contrats, peut être annulé en cas de manœuvre dolosive d’une des parties mais à la condition de prouver que cette manœuvre a été déterminante et que donc sans cette dernière la partie n’aurait pas contracté.

En l’espèce, un salarié a demandé la rupture conventionnelle de son contrat de travail en expliquant à son employeur qu’il avait un projet de reconversion professionnelle. Or, ce projet n’existait pas et le véritable motif de la demande de rupture conventionnelle du salarié était son embauche par la concurrence.

La Cour d’appel a décidé d’annuler pour cause de dol la rupture conventionnelle et a dit que celle-ci avait valeur de démission. Elle a ainsi condamné le salarié à payer à l’employeur des sommes à titre d’indemnité de rupture conventionnelle versée par l’employeur et de préavis non réalisé du fait de sa démission.

La Cour de cassation rappelle que « le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté ; il ne se présume pas et doit être prouvé. »

Mais elle casse l’arrêt de la Cour d’appel qui n’a pas constaté que le projet de reconversion professionnelle présenté par le salarié à son employeur avait déterminé le consentement de ce dernier à la rupture conventionnelle.

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045822800?init=true&isAdvancedResult=true&numAffaire=+20-15909&page=1&pageSize=10&query=%7B%28%40ALL%5Bt%22*%22%5D%29%7D&sortValue=DATE_DESC&tab_selection=juri&typeRecherche=date

Pour rappel :

Article 1137 du Code civil :

« Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges.

Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie.

Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation. »

Article 1130 du Code civil

« L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.

Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné. »

Article 1131 du code civil

« Les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat. »

Limites à la surveillance des salariés par l’employeur

Interview de Marielle Vannier pour Dossier Familial par Timour Aggiouri :

Procès Ikea : l’employeur peut-il s’immiscer dans la vie privée des candidats et des salariés ?

Le procès de l’enseigne d’ameublement suédoise Ikea illustre les limites à la surveillance pratiquée dans certaines entreprises. L’employeur doit respecter certaines règles.

Le procès de l’enseigne d’ameublement suédoise Ikea a commencé lundi 22 mars devant le tribunal judiciaire de Versailles. Selon Le Parisien, en bénéficiant de l’aide de policiers et de l’infiltration d’une fausse employée dans un magasin, l’entreprise a mené des investigations sur les antécédents judiciaires, le patrimoine, la situation maritale ou encore les prénoms des enfants de candidats à un emploi ou de salariés. Pamela Tabardel, substitute du procureure de la République, a requis le 30 mars différentes peines pour treize prévenus, dont 2 M€ à l’encontre de la société Meubles Ikea France, et la relaxe pour un ancien PDG et une ancienne DRH, qui figurent parmi les quinze prévenus, rapporte Le Monde.

 

Ce procès illustre les limites à la surveillance pratiquée dans certaines entreprises. L’employeur ne peut recourir à tous les moyens pour obtenir des informations concernant les candidats à un poste et ses salariés. 

Quelles recherches peut mener un employeur dans le cadre d’un recrutement ?

L’employeur peut interroger les anciens collègues d’un candidat, lui soumettre un test de personnalité ou lui demander d’écrire une lettre de motivation manuscrite en vue d’une analyse graphologique. Mais il doit l’informer de la mise en œuvre de ces procédés.

« Un employeur peut aller sur les réseaux sociaux pour recueillir des informations disponibles en accès libre concernant un candidat », précise à Dossier Familial Marielle Vannier, avocate à Meudon (Hauts-de-Seine).

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) souligne l’interdiction de « demander à un candidat son numéro de Sécurité sociale ». L’employeur ne peut davantage « collecter des informations sur ses parents, sa fratrie, ses opinions politiques ou son appartenance syndicale », ajoute l’autorité sur son site.

Un employeur peut-il demander un extrait de casier judiciaire aux candidats à un emploi ou à ses salariés ?

Rien ne l’empêche de faire une telle demande. Mais l’employeur n’a pas le droit de « conserver une copie du document » ni de « permettre que ces données fassent l’objet d’un traitement spécifique. La mention des vérifications des casiers effectuées dans le fichier de gestion du personnel sous la forme ‘‘Oui/Non’’ est suffisante », précise la Cnil sur son site.

Un employeur peut-il consulter les courriels, ordinateurs et téléphones professionnels de ses salariés ?

L’employeur est libre d’examiner le contenu des documents professionnels des salariés. « Il peut consulter quand il le souhaite ces documents, mais les salariés et le comité social et économique (CSE), s’il existe une telle instance, doivent être informés au préalable d’une telle possibilité », explique Me Vannier.

« Même en l’absence d’information des salariés et du CSE, les preuves recueillies seront très probablement réputées recevables en cas de procès », poursuit l’avocate.

« Si l’employeur se rend compte que les informations trouvées ont trait à la vie privée, il n’a pas le droit de les communiquer », selon Marielle Vannier.

Les SMS et courriels identifiés comme personnels, ne peuvent être consultés en dehors de la présence du salarié. Pour éviter toute équivoque, les salariés doivent marquer sur leurs courriels personnels transmis depuis leur adresse professionnel l’objet « Personnel » ou « Privé ». En revanche, les termes « Données personnelles » ou « Mes documents » comme noms de disque dur sont trop génériques pour être suffisamment clairs.

 

S’il existe des doutes quant à des faits de concurrence déloyale ou une violation du secret professionnel, l’employeur peut demander au conseil de prud’hommes l’autorisation de consulter des documents personnels. Pour cela, il doit utiliser une procédure d’urgence, en référé, dont le salarié n’est pas prévenu.

 

Les fouilles corporelles des salariés sont-elles possibles ?

Rien ne les interdit formellement. Mais il est impératif que ces fouilles ne soient possibles que dans un nombre très restreint de cas et que dans des conditions très strictes qui doivent être fixées par le règlement intérieur, lequel est soumis au CSE et communiqué à l’inspection du travail (article L. 1321-4 du Code du travail).

Le salarié peut exiger la présence d’un représentant du personnel. 

Il doit être informé de son droit à s’opposer à une fouille. « S’il est amené à trancher un contentieux, le juge peut tirer les conséquences de l’opposition du salarié à la fouille, mais l’employeur ne disposera pas de la preuve matérielle » des faits reprochés au salariés, comme un vol, observe Me Vannier.

 

Un employeur peut-il surveiller les déplacements de ses salariés amenés à se déplacer durant leur temps de travail (chauffeurs, commerciaux, etc.) ?

Un contrôle permanent des salariés est interdit en général. « Les parties au contrat de travail doivent l’exécuter de bonne foi. L’employeur ne peut suivre à la trace les salariés », souligne Marielle Vannier. 

« Le cas des routiers est particulier. Suivant des normes de l’Union européenne, un outil mesure leur temps de conduite. S’agissant des autres salariés, en particulier des commerciaux, qui disposent d’une liberté dans l’organisation de leur travail, il est interdit de les géolocaliser en permanence », d’après notre interlocutrice.

Toutefois, les déplacements qui font l’objet de facturations, par exemple pour des courses en taxi ou en véhicule de transport avec chauffeur (VTC), peuvent être géolocalisés.

De même, la géolocalisation des salariés est possible si elle obéit à un but légitime, par exemple une ambulance ou un véhicule de transport de fonds.

 

Un employeur peut-il installer des caméras de surveillance dans les locaux de l’entreprise ?

Il a le droit de placer des caméras, mais pas partout dans les locaux. Le principe d’interdiction de la surveillance permanente des salariés s’applique. Si l’activité présente un risque pour la sûreté et la sécurité de la société, ou encore si des fonds sont en jeu, alors une surveillance permanente est possible. « Mais dans un open space où travaillent des agents administratifs, il n’y aucune raison de filmer les salariés en permanence », rappelle Me Vannier.

Dans un magasin, une caméra doit être dirigée sur la caisse et pas sur tous les mouvements et déplacements du caissier, d’après l’avocate. Au sein d’un restaurant, des caméras ne peuvent filmer en permanence les serveurs, sauf s’il y a eu des vols et que l’employeur souhaite ainsi assurer la sécurité de ses clients et de leurs biens.

Certains lieux ne peuvent jamais être filmés, comme les salles de pause et les locaux syndicaux.

 

Un employeur peut-il filmer en permanence ses salariés en télétravail ?

La loi n’envisage pas cette situation, et les juges n’ont pas été amenés à trancher des affaires sur de tels faits. Cependant, la Commission nationale de l’informatique et des libertés recommande de ne pas imposer au salarié l’obligation d’actionner la caméra de son ordinateur. Sur son site, l’autorité préconise plutôt « un contrôle de la réalisation par objectifs pour une période donnée », les objectifs devant « être raisonnables, susceptibles d’être objectivement quantifiés et contrôlables à des intervalles réguliers », ou encore « un compte rendu régulier du salarié ».

 

D’après la Cnil, même lors d’une réunion à distance, vous ne devez pas être obligé d’activer votre caméra. Un salarié peut « en principe refuser la diffusion de son image lors d’une visioconférence, en mettant en avant les raisons tenant à sa situation particulière. Seules des circonstances très particulières, dont il appartiendrait à l’employeur de justifier, pourrait rendre nécessaire la tenue de la visioconférence à visage découvert. »

https://www.dossierfamilial.com/actualites/emploi/proces-ikea-lemployeur-peut-il-simmiscer-dans-la-vie-privee-des-candidats-et-des-salaries-880270

Pas de titre restaurant pour les télétravailleurs à domicile

Dans un Jugement du 10 mars 2021, le Tribunal Judiciaire de Nanterre vient de juger que les salariés « placés en télétravail, le sont à leur domicile et ne peuvent donc prétendre, en l’absence de surcoût lié à leur restauration hors de leur domicile, à l’attribution de tickets restaurant ».

Cette position judiciaire est en contradiction avec la position du Ministère du travail qui, dans ses questions-réponses, attribuait le bénéfice des titres restaurant aux télétravailleurs.

TJ Nanterre – Jugement du 10 Mars 2021 N° RG 20/09616

Licenciement pendant le confinement 2

Interview de Marielle Vannier pour Dossier Familial par Timour Aggiouri :

Le gouvernement de Jean Castex incite les employeurs à conserver leurs salariés malgré la récession et le nouveau confinement, mis en œuvre depuis le 30 octobre contre l’épidémie de Covid-19. Il facilite le recours au dispositif d’activité partielle – chômage partiel dans le langage courant –, en vue de limiter le nombre de pertes d’emploi et de faciliter la reprise.

Mais l’exécutif n’a pas interdit les licenciements. Il a maintenu le cadre de la rupture du contrat à durée indéterminée (CDI) à l’initiative de l’employeur. Différentes règles protectrices continuent à bénéficier aux salariés susceptibles d’être licenciés durant la crise sanitaire.

L’impossibilité de poursuivre l’activité de l’entreprise en raison du confinement peut-elle justifier un licenciement ?

Non. « Un licenciement uniquement lié au confinement ne peut être justifié, puisque l’employeur a la possibilité de recourir à l’activité partielle, explique à Dossier Familial Marielle Vannier, avocate à Meudon (Hauts-de-Seine). L’employeur risquerait d’être condamné pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sauf à prouver que la gravité de la situation de l’entreprise dépasse le cadre du confinement. »

La crise sanitaire ne peut constituer une force majeure justifiant un licenciement, « sauf dans des cas extrêmes », estime notre interlocutrice, relevant qu’« il y a un débat parmi les juristes sur ce sujet ». La CFDT précise sur le site du syndicat que les conseils de prud’hommes et les cours d’appel seront amenés à se prononcer « si la question devait leur être posée ».

Toutefois, « par rapport au premier confinement, les avocats atténuent leur recommandation de ne pas licencier. Compte tenu des difficultés économiques et des prévisions économiques très pessimistes, un licenciement pour motif économique peut se justifier », précise Me Vannier. « Les avocats des employeurs devront sûrement prouver devant les juges du fond que les aides gouvernementales ne permettent pas d’éviter les suppressions de poste », ajoute l’avocate.

 

Des procédures de licenciement peuvent-elles aboutir durant le confinement ?

Oui, rien n’empêche les procédures de licenciement d’arriver à leur fin. L’employeur peut respecter durant le confinement le schéma des procédures de licenciement, qui repose sur trois étapes : la convocation à un entretien préalable, ce rendez-vous et la notification du licenciement par lettre recommandée avec accusé de réception.

« La Poste ne s’est pas arrêtée, elle fonctionne normalement, observe Marielle Vannier. Je ne rencontre pas de souci sur l’envoi des lettres recommandées. »

L’organisation de l’entretien préalable pose certes problème, dans l’hypothèse où le salarié et l’employeur ne comptent pas faire de déplacement pour se rendre dans les locaux de l’entreprise.  « Aucun texte ne prévoit qu’un entretien préalable par visio-conférence est valable. Aucune mesure dérogatoire n’a été prise en ce sens, comme pour les réunions du comité social et économique », indique l’avocate.

Sur la validité de cette étape du licenciement par visio-conférence, les décisions des cours d’appel vont dans des sens opposés. 

« Si l’employeur tient à mener un entretien par ce biais, le risque est limité pour lui : il ne s’agirait que d’un vice de procédure. Dans un arrêt du 7 janvier 2020, la cour d’appel de Grenoble a condamné à 500 € de dommages et intérêts un employeur concerné », observe Marielle Vannier. D’après la juriste, une condamnation est possible si le salarié parvient à prouver que le vice de procédure lui a causé un préjudice et à évaluer ce dernier. Le montant maximal qui lui est dû est plafonné à 1 mois de salaire. Quelle que soit la solution, le licenciement n’est pas remis en cause.

« Lorsque j’accompagne un employeur dans une procédure de licenciement, je lui conseille de laisser le choix au salarié entre un entretien par visio-conférence ou dans un bureau », rapporte Me Vannier.

 

Les conseils de prud’hommes accueillent-ils toujours des saisines ?

Oui, les conseils de prud’hommes, tout comme les cours d’appel, susceptibles de trancher en seconde instance des litiges individuels de travail, continuent à accueillir les saisines des salariés ou de leur avocat. « En mars, une audience dans une affaire où j’interviens a été reportée au mois de novembre. Elle va pouvoir avoir lieu », se félicite Marielle Vannier.

Alors que les délais de prescription avaient été suspendus par ordonnance durant le précédent confinement, le président de la République n’a pas pris de mesure similaire. Si vous souhaitez agir en justice contre votre (ancien) employeur, n’attendez pas.

 

https://www.dossierfamilial.com/actualites/emploi/licenciement-pendant-la-crise-sanitaire-quels-sont-vos-droits-433496