Interview de Marielle Vannier par Timour AGGIOURI pour Net PME:
« Licenciement disciplinaire : l’employeur a le droit de se fonder sur les observations d’un client mystère
Le résultat des vérifications menées dans l’activité d’un salarié par le procédé du client mystère peut aboutir à une rupture du contrat de travail, a indiqué la Cour de cassation dans une décision du 6 septembre.
La Cour de cassation admet pour la première fois la licéité du procédé du client mystère. © Getty Images
Si les dispositifs de contrôle de l’activité sont portés à la connaissance du salarié préalablement à leur mise en œuvre, les preuves recueillies par l’employeur par ce biais sont susceptibles de fonder un licenciement disciplinaire.
La Chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé ce principe et énoncé que le résultat des vérifications menées par un client mystère peut aboutir à une rupture valable du contrat de travail, dans un arrêt rendu le 6 septembre.
Le procédé du client mystère validé en appel
Un employé de restaurant libre-service avait été licencié après le constat par un client mystère du défaut de remise d’un « ticket de caisse […] après l’encaissement de la somme demandée », relate la juridiction suprême de l’ordre judiciaire. Cette absence avait été mentionnée dans une fiche d’intervention de la société « mandatée » par l’employeur pour « effectuer des contrôles ».
Ayant obtenu gain de cause devant un conseil de prud’hommes, le salarié avait demandé à la cour d’appel d’Aix-en-Provence, saisie par son employeur, d’annuler sa « mise à pied disciplinaire du 7 avril 2016 » et de « juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ».
En seconde instance, les juges du fond avaient constaté la production par l’employeur de la fiche d’intervention. Ce dispositif de contrôle de l’activité avait été porté à la connaissance de l’autre partie par « un compte rendu de réunion du comité d’entreprise du 18 octobre 2016, faisant état de la visite de clients mystères avec mention du nombre de leurs passages, et […] d’une note d’information des salariés sur le dispositif […], qui porte la mention ‘‘pour affichage septembre 2015’’ et qui explique son fonctionnement et son objectif ».
L’argumentation du salarié
Se pourvoyant en cassation, le salarié avait soutenu que « l’employeur » ne pouvait « avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve » et que « pour juger le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a[vait] considéré que la preuve du non-respect par le salarié des procédures d’encaissement mises en place au sein de l’entreprise était rapportée ».
Le plaideur avait ajouté qu’« en jugeant recevable cette preuve » recueillie par un client mystère, les juges du fond n’avaient pas respecté « le principe de loyauté dans l’administration de la preuve », découlant des articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du Code de procédure civile.
Le demandeur avait en outre rappelé que le salarié devait être informé, avant « leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard ». Il reprochait à la cour d’appel de n’avoir pas vérifié « quel était précisément l’objectif déclaré aux salariés, alors que les conclusions » du plaideur « l’y invitaient ». Il invoquait encore la violation du « principe de loyauté dans l’administration de la preuve ».
Pourquoi la Cour de cassation a rejeté le pourvoi ?
La Cour de cassation juge « irrecevable » le « moyen […] du principe de loyauté dans l’administration de la preuve ». La cour d’appel a « légalement justifié sa décision » en ayant « constaté que le salarié avait été, conformément aux dispositions de l’article L. 1222-3 du Code du travail, expressément informé, préalablement à sa mise en œuvre, de cette méthode d’évaluation professionnelle mise en œuvre à son égard par l’employeur, ce dont il résultait que ce dernier pouvait en utiliser les résultats au soutien d’une procédure disciplinaire ».
La plus haute juridiction judiciaire a donc rejeté le pourvoi formé par le salarié.
Une admission inédite du procédé du client mystère…
Au travers de cette décision, si elle « a maintenu sa jurisprudence relative aux conditions nécessaires pour qu’une preuve soit jugée loyale en droit du travail », la Cour a admis pour « la première fois la licéité du procédé du client mystère », fait remarquer à NetPME, Marielle Vannier, avocate spécialiste en droit du travail, au vu de ses connaissances.
Selon notre interlocutrice, dans d’autres affaires, le salarié peut contester la validité de ce mode de preuve, en arguant par exemple :
- qu’il n’a pas été informé de ce moyen de contrôle ;
- que le comité social et économique (CSE, ex-comité d’entreprise) n’a pas été informé et consulté préalablement à la décision de mise en œuvre dans l’entreprise de cette technique de contrôle ;
- que l’objectif fixé par ce moyen de contrôle n’a pas été respecté.
… favorable à l’employeur
« Mais même si ces arguments sont valables et que la Cour de cassation juge que la preuve est illicite, au regard de sa jurisprudence récente sur le droit à la preuve, je ne garantis pas que le salarié obtiendra le rejet des débats de cette preuve », ajoute Maître Vannier.
« En effet, depuis quelques années, la Cour pose le principe suivant : l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble.
Dans son appréciation, il met en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi », souligne l’avocate.
Aussi, même dans l’hypothèse de l’illicéité de cette technique et si l’employeur invoque son droit à la preuve, le salarié devra démontrer que le moyen de preuve « porte atteinte à sa vie privée ou à une liberté fondamentale et/ou que ce moyen n’était pas nécessaire et qu’il existait d’autres moyens possibles et/ou que ce moyen est disproportionné par rapport au but poursuivi ».
« À défaut, il ne restera plus au salarié qu’à contester la qualité du contenu du rapport en discréditant sa valeur probante, par exemple par le manque de sérieux ou de précisions du document ou par les erreurs commises », conclut Maître Vannier.
Comment l’employeur doit porter à la connaissance du salarié les dispositifs de contrôle de son activité ? D’après Maître Vannier, le Code du travail et la jurisprudence ne précisant pas comment l’employeur doit porter à la connaissance du salarié les dispositifs de contrôle de son activité, « tous les moyens sont a priori recevables. Il peut s’agir d’une « note d’information affichée – comme en l’espèce –, d’une lettre remise en main propre contre signature ou d’une mention dans le contrat de travail ». Notre interlocutrice recommande « en tout cas une information par écrit et individuelle afin qu’il n’y ait pas de débat sur le fait que le salarié ait bien été touché par cette information ». |
Timour Aggiouri