Interview de Marielle Vannier pour Dossier Familial par Timour Aggiouri :
Le gouvernement d’Edouard Philippe incite les employeurs à conserver leurs salariés malgré la récession. Il a amélioré le dispositif d’activité partielle – chômage partiel dans le langage courant –, en vue de limiter de pertes d’emploi et de faciliter la reprise à la sortie de la crise sanitaire.
Mais l’exécutif n’a pas interdit les licenciements. S’il a assoupli les règles du temps de travail dans une ordonnance du 25 mars, il a maintenu le cadre de la rupture du contrat à durée indéterminée (CDI) à l’initiative de l’employeur. Différentes règles protègent les salariés licenciés durant la crise sanitaire.
L’impossibilité de poursuivre l’activité de l’entreprise en raison du confinement peut-elle justifier un licenciement ?
Non. « Un licenciement uniquement lié au confinement ne peut être justifié, puisque l’employeur a la possibilité de recourir à l’activité partielle, explique à Dossier Familial Marielle Vannier, avocate à Meudon (Hauts-de-Seine). L’employeur risquerait d’être condamné pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sauf à prouver que la gravité de la situation de l’entreprise dépasse le cadre du confinement. »
De plus, la situation de confinement ne peut constituer une force majeure justifiant un licenciement, « sauf dans des cas extrêmes », estime notre interlocutrice, convenant qu’« il y a un grand débat parmi les juristes sur ce sujet ».
Le service juridique de la CFDT précise sur le site du syndicat que les conseils de prud’hommes et les cours d’appel seront amenés à se prononcer « si la question devait leur être posée ».
Selon Me Vannier, « tous les avocats dissuadent les employeurs de licencier à l’heure actuelle ».
Des procédures de licenciement peuvent-elles aboutir durant le confinement ?
« En théorie, oui, répond Marielle Vannier. Mais dans la pratique, faire aboutir une procédure est compliqué. » Les procédures de licenciement reposent sur trois étapes que sont la convocation à un entretien préalable, ce rendez-vous et l’envoi d’une lettre de licenciement. L’employeur peut avoir des difficultés à respecter ce schéma durant le confinement.
« La Poste ne fonctionne pas de manière optimale pendant le confinement, remarque Me Vannier. La lettre recommandée électronique pour notifier un licenciement peut présenter en outre un aléa juridique pour l’employeur, puisqu’à notre connaissance aucune décision de la Cour de Cassation n’est venue confirmer la validité de ce procédé. Pour sécuriser au maximum un licenciement, il vaut donc mieux qu’un employeur passe par un huissier de justice. »
L’organisation de l’entretien préalable pose problème, dans l’hypothèse où le salarié et l’employeur ne comptent pas faire de déplacement pour se rendre dans les locaux de l’entreprise. « Aucun texte ne prévoit qu’un entretien préalable par visio-conférence est valable. Aucune mesure dérogatoire n’a été prise en ce sens, comme pour les réunions du conseil social et économique », remarque l’avocate.
Sur la validité de cette étape du licenciement par visio-conférence, les décisions des cours d’appel vont dans des sens opposés.
« Si l’employeur tient à mener un entretien par ce biais, le risque est limité pour lui : il ne s’agirait que d’un vice de procédure, indique Marielle Vannier. Dans un arrêt du 7 janvier 2020, la cour d’appel de Grenoble a condamné à 500 € de dommages et intérêts un employeur concerné. » Quelle que soit la solution, le licenciement n’est pas remis en cause.
Les conseils de prud’hommes accueillent-ils toujours des saisines ?
Depuis le 16 mars, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a ordonné la fermeture des juridictions, « sauf pour les contentieux essentiels », selon un communiqué du ministère de la Justice. Les litiges traités par les prud’hommes ne figurent pas dans cette catégorie. Si vous adressez une saisine par lettre auprès d’un conseil pour contester un licenciement, vous risquez fort de voir votre demande non traitée.
« S’agissant du conseil de prud’hommes de Paris, les lettres de saisine reviennent aux expéditeurs », affirme Me Vannier.
« Le conseil de Nanterre, le deuxième de France, a mis en place la possibilité de saisir son président et son vice-président en cas de grande urgence, mais il n’a pas encore précisé ce que cette dernière recouvre », poursuit la juriste, estimant qu’il peut s’agir notamment des situations où l’employeur ne paye plus ses salariés, ne recourt pas au chômage partiel et n’a pas déclaré la cessation de paiement au tribunal de commerce.
L’absence de traitement des contentieux n’a pas d’impact sur les droits des salariés à saisir la justice : les délais de prescription sont suspendus, en application d’une ordonnance du 25 mars.
En attendant que la justice reprenne son activité ordinaire, si vous souhaitez obtenir une indemnisation, préparez les négociations avec votre ancien employeur. La négociation est en effet obligatoire avant de saisir le conseil de prud’hommes. Marielle Vannier le rappelle : « Différents arguments de fait et des preuves comme les témoignages doivent être rassemblés, et cela prend du temps. » Vous pourrez vous appuyer sur ces éléments lors de la négociation puis, si cette dernière échoue, pour obtenir gain de cause de cause devant le conseil de prud’hommes.
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